Rencontre avec Raphaël Sanchez, Directeur musical sur We Will Rock You

Partenaires de L’Ecran Pop depuis le début de l’aventure Bohemian Rhapsody, la production de We Will Rock You regorge de talents. Après l’interview de Galiléo (Doryan Ben), partons à la rencontre de Raphaël Sanchez, directeur musical du spectacle. Mais au fait, un metteur en scène c’est quoi ? Découvrez-en plus sur la signification de ce métier passionnant et pénétrez dans les coulisses de la comédie musicale la plus plébiscitée de cette année 2019, qui jouera d’ailleurs les prolongations dès le 20 décembre au Casino de Paris !

Question bête mais beaucoup ne savent pas ce qu’est un directeur musical ? Tu peux nous l’expliquer et nous préciser donc ton rôle au sein de la comédie musicale « WE WILL ROCK YOU »?

Il n’y a pas de question bête ! Tout est dans le titre; ou à peu près: Directeur musical = directeur de… la musique! La musique, c’est à dire tout ce qui est chanté (autant les voix solo que les voix de choeurs (que nous appelons des « Ensembles » dans ce secteur) et tout ce qui est joué par des musiciens de l’orchestre. Ça commence par le casting des artistes, et le casting des musiciens qui formeront l’orchestre.Connaissant le niveau requis pour chanter la partition vocale du spectacle, ou pour en jouer la partition, je ne fais pas de compromis qui nous ferait perdre un temps trop précieux par la suite. Un artiste qui chante faux, qui souffre d’arythmie (problèmes de conscience du rythme), qui ne tient pas les polyphonies, qui manque de technique vocale, un musicien qui ne lit pas parfaitement la musique, qui ne maîtrise pas pleinement son instrument, qui ne joue pas en place, qui n’a pas d’expérience dans le style musical du spectacle, n’ont aucune raison d’être retenus. Mais c’est loin d’être tout:

Sur toute musique, tous les postes demandent de grandes qualités car le spectacle sera en ‘live’ intégral. Nous ne trichons pas. Les artistes et les musiciens auront de réelles performances à accomplir et le public les attend.

Pour le musicien, Il ne s’agira pas juste d’être capable de lire et jouer la partition, il s’agira de la sublimer, et ça demande non seulement une excellence en tant qu’instrumentiste, mais aussi beaucoup de goût, d’expérience, et de liberté dans le jeu. On ne peut confier ces postes à un musicien qui ne fait que réciter scolairement les notes de la partition, et encore moins à un musicien qui cherchera à défendre ou à amener une autre esthétique que celle, en l’occurence, de la musique de Queen.

La répartition des voix est très importante et participe en première ligne au son du spectacle.

Afin de faire sonner le spectacle, une fois les artistes choisis, j’étudie les parties vocales de chaque titre. Connaissant les chanteurs, pour les avoir castés, j’ai pris note avec beaucoup de précision des particularités des voix de chacun de heureux élus, et j’arrive aux auditions avec un cahier des charges très précis en termes de qualités vocales.

Je connais leur tessiture bien sûr, mais je prends en compte de nombreux autres paramètres: leur couleur vocale, leur aptitude à capter les polyphonies, leur flexibilité et vitesse d’apprentissage, éventuellement leurs connaissance en lecture de partition. Paramètres dont je prends note dès la première phase d’auditions afin de préparer l’étape essentielle de la répartition finale des parties vocales.

Si la tâche est complexe, vocalement, comme c’est le cas notamment sur WWRY, je mentionne cette nécessité au chorégraphe et au metteur en scène, qui tiendront compte de mes notes pour orienter notamment leur choix en termes de danseurs, puisque ce sont eux qui formeront une partie importante de l’Ensemble vocal. Si néanmoins je vois qu’un artiste fortement et vivement pressenti artistiquement présente des lacunes musicales, je lui demande de travailler sur des points précis pour qu’il soit au niveau requis au moment où commencera la période de répétitions.

Puis vient la conception: j’imagine les mélanges vocaux qui me semblent les plus pertinents: j’attribue à chacun une position dans l’équilibre des voix (soprano 1, soprano 2, mezzo 1, mezzo 2, alto, etc.) et réécris les parties vocales d’Ensembles si nécessaire pour arriver au son que je souhaite.

Par exemple dans WWRY, j’ai voulu être fidèle au son du groupe, et pour ce faire j’ai décidé de placer certains hommes en voix de tête avec une couleur pop; au lieu de laisser les aigus aux filles comme on le fait généralement, et comme c’est prévu par la partition.

J’ai également réécrit les arrangements vocaux de plusieurs chansons pour recréer certains effets vocaux très particuliers, chers à Queen, qu’on entend sur les albums de Queen, mais qui n’apparaissent pas sur les partitions du spectacle, lesquelles sont écrites pour être montées vite.

La préparation de ces voix terminée, j’enregistre et envoie à chaque chanteur, danseur de l’Ensemble, et soliste; un kit vocal pour le guider sur l’ensemble du spectacle, et qu’il puisse identifier et apprendre la partie qu’il aura à chanter.

Vient ensuite le travail de préparation orchestrale:

Je fais le même travail de préparation et de modifications sur les partitions de l’orchestre, afin de mettre au maximum en valeur les qualités de chaque musicien.

Je modifie aussi en amont leurs partitions en fonction des montages ou coupes que le metteur en scène souhaite faire, afin qu’aucune question ne se pose au moment des répétitions.

Quelquefois, sur certaines productions il arrive qu’une demande de réduction d’effectifs soit demandée. Par exemple: « Nous avons normalement une partition d’orchestre pour 12 instruments, mais nous souhaitons n’en engager que 7 en tout ».

Si, dans ce cas, on enlève simplement 5 instruments, la partition prévue pour 12 sera cruellement appauvrie, des mélodies, des contrechants, des couleurs orchestrales, des notes dans l’harmonie, et souvent plus, manqueraient purement et simplement.

Il faut donc imaginer une solution musicale, quelquefois avec l’aide de l’informatique, pour que le spectacle sonne le mieux possible en tenant compte de cette demande. Sans d’ailleurs forcément chercher à remplacer les instruments manquants, quelquefois la solution est ailleurs.

L’orchestre devant être monté et prêt à jouer après une seule journée de répétition, il est donc primordial de préparer la partition définitive de chaque musicien en amont.

Chaque partition doit arriver au musicien « prête à jouer », et si d’aventure un musicien devait se faire remplacer en urgence (on, n’est jamais à l’abri d’un accident) , son remplaçant devrait être capable de comprendre et jouer le spectacle au premier coup d’oeil.

La programmation.

Un spectacle comme WWRY demande aussi un gros travail de programmation audio-numérique, car sur certains titres (Innuendo) nous devrons entendre la voix de Freddie Mercury arriver à un moment précis en parfaite synchro avec l’orchestre live. Il est possible aussi qu’il faille synchroniser aussi avec l’orchestre des instruments ou des sons pré-engregistrés: sur la chanson Radio-Gaga par exemple, nous avons le privilège de jouer en live en synchro avec des pistes de synthétiseurs enregistrées venant de l’album d’origine! Sur ces deux titres, je programme donc une chaîne multi-pistes permettant à l’orchestre d’entendre un click de synchro (qu’ils sont seuls à entendre) qui nous permettent de parfaitement jouer « avec » le claviériste qui a enregistré l’album.

Sur Another One Bites the Dust, je pilote avec mes claviers certains vrais sons (dont les mythiques notes de piano à l’envers créées pour l’album) qui proviennent des pistes de l’album original, il faut donc être capable d’intégrer ces sons dans les programmations des sons des claviers, sons qu’il faut également créer et programmer pour l’ensemble du spectacle.

Synchro vidéo

Sur WWRY, comme sur de nombreux spectacles, il y a un travail de vidéo que crée un vidéaste. Mais la musique doit diriger le spectacle. Afin d’être en parfaite synchro avec l’image, il faut donc que mes programmations incluent des pistes de « timecode », ce sont des données numériques qui défilent pendant certains passages-clés du spectacle; données qui seront reçues et lues par la régie vidéo comme un « go » ultra-précis de ma part pour démarrer avec moi la lecture de ces vidéos. II faut donc être un spécialiste des logiciels capables de gérer toutes ces demandes, musicales et numériques, inhérentes à ce type de spectacles avec la plus parfaite flexibilité. Ces logiciels s’appellent Mainstage, Qlab, Reaper, ProTools, Logic, Dante. Toute cette partie du travail se fait en amont, pour que tout soit parfait. Il s’agit de semaines, voire quelquefois de plusieurs mois consacrés à cette préparation. Puis arrive enfin la phase de répétitions proprement dite. La mission du directeur musical devient enfin musicale.

C’est la première confrontation entre les artistes et tout ce travail fait en amont.

Un long travail de montage vocal commence, pendant plusieurs jours les artistes devront exclusivement chanter. Je monte avec eux minutieusement toutes les polyphonies, toutes les chansons, qu’elles soient solo ou à plusieurs. Après la phase d’apprentissage,on peaufine et on répète jusqu’à ce que tout soit parfaitement intégré, affiné, et éprouvé.

Ainsi, quand le chorégraphe Raffaele Lucania commencera son travail, lorsque le metteur en scène Ned Grujic dirigera théâtralement les répétitions, chacun des artistes, qu’il soit rôle ou danseur, saura déjà parfaitement tout ce qu’il devra chanter.

Il n’est pas rare, à ce stade, que le chorégraphe ou le metteur en scène me demandent quelques modifications:

-untel ne peut chanter dans tel passage parce qu’il devra finalement être off-stage à ce moment précis pour un changement de costume…
-untel ne pourra chanter dans ce passage car il sera en train d’effectuer sur scène une figure chorégraphique qui lui demandera trop d’attention, ou qui risque de l’empêcher de chanter librement sur ce passage. Etc…. C’est donc aussi en prévision de ces cas précis que prend tout son sens l’une des premières exigences que j’ai mentionnée, à propos de la phase d’auditions, en termes de flexibilité et de capacité d’apprentissage. Car si une partie vocale vient à manquer sur un passage donné, il me faudra modifier les polyphonies afin d’attribuer la partie manquante à un autre artiste.

La phase de répétitions théâtrales avec Ned Grujic et chorégraphiques avec Raffaële Lucania me permettent aussi d’éprouver mes choix en matière de tempos et d’évolution de tempos (les puristes m’excuseront de choisir de ne pas employer le mot « tempi »), ainsi que de fixer toutes les transitions entre les scènes quand elles sont musicales. Il n’est pas rare à ce stade qu’on décide d’écourter ou allonger une transition, et même une partie de chanson. Le cas échéant, il me faut immédiatement modifier les partitions de l’orchestre pour intégrer ces derniers changements, sans quoi un temps considérable serait perdu en répétitions orchestrales ou en répétitions finales avec orchestre et cast.

Enfin, cerise sur le gâteau, vient la direction musicale du spectacle.

La direction de l’orchestre et des chanteurs pendant le spectacle, au quotidien est la récompense de tout ce travail.

À ce stade, je dirige le spectacle, pilote les ordinateurs pour utiliser les préparations que j’ai programmées, et joue quelquefois des claviers en même temps (c’est le cas pour WWRY).

Pendant le spectacle, je garde le contact visuel avec les chanteurs qui sont en coulisses (et le batteur qui joue dans un studio insonorisé à l’étage) au moyen d’une petite caméra: des écrans étant disposés à certains endroits-clé pour permettre cette communication essentielle qui me permet de les diriger à distance.

J’utilise également un micro pour parler aux musiciens pendant le spectacle, ce qui me permet de les diriger ‘à la voix’ quand nécessaire. Technique de direction très efficace que j’ai apprise lors de mes années à la direction musicale d’un spectacle du Cirque du Soleil.

Et bien sûr, au quotidien, il est important de continuer à travailler non seulement au maintien en « bonne forme » du spectacle, mais aussi à son amélioration. En prenant des notes tous les jours afin de cerner rapidement les imprécisions musicales qui pourraient s’installer, autant chez les chanteurs que chez les musiciens, en écoutant aussi le son en salle et en travaillant de concert avec l’ingénieur du son pour que tout aille dans la même direction, en observant ce qui peut être amélioré ou épuré dans les programmations, etc.

Pendant la phase d’exploitation du spectacle, j’organise une petite répétition musicale quotidienne qui nous sert d’une part à vérifier avant chaque spectacle que tous les instruments fonctionnent et communiquent bien avec la régie-son, et d’autre part et surtout, à cerner un ou plusieurs passages qu’on peut améliorer par rapport au show de la veille. Que la question soit musicale ou technique. Pendant cette courte répétition nous échangeons beaucoup ensemble, et avec l’ingénieur du son, qui nous communique également ses demandes: si par exemple il souhaite qu’un instrument lui arrive avec plus de volume sur un passage donné. Ou si j’ai observé qu’un son que nous émettons ne semble pas lui parvenir clairement. Il est fréquent à ce stade que je modifie mes programmations pour lui donner la matière qu’il souhaite pour son mixage.

Pour résumer donc très brièvement, le rôle du directeur musical est donc à la fois un rôle de dénicheur de talents, d’arrangeur-orchestrateur, de directeur vocal, de programmeur, de musicien, et de chef d’orchestre.

Qu’apportent , à un spectacle comme WE WILL ROCK YOU, la présence live de musiciens ?

Queen est un groupe de musiciens. Cette musique ne ressemble à la musique d’aucun autre. Elle a un son si particulier. Aucune chanson de Queen ne ressemble à aucune autre chanson de Queen. Et pourtant on reconnait Queen à chacune de ces chansons. Par le son, unique; par l’inventivité des mélodies, des rythmiques originales, par l’orchestration et l’extrême qualité et inventivité jeu des musiciens, par la touche particulière et unique de l’harmonisation des parties vocales des choeurs. Tant de paramètres qui appartiennent à leurs créateurs, dont les qualités de compositeurs n’avaient d’égales que leur exigence esthétique et technique. La musique de Queen est loin d’être anodine. Elle n’est ni ordinaire ni facile à jouer, on est très loin au-dessus des standards de l’époque.
Pour la jouer il faut des musiciens du plus haut niveau. Pour certains passages (je pense notamment aux parties de guitare) on peut parler de virtuosité. Les musiciens doivent être non seulement d’excellents musiciens accomplis, mais aussi des musiciens aguerris et inventifs. Hors de question de se contenter de jouer la partition, ou de jouer tous les soirs la même ‘formule’ en guise d’improvisations, pour les passages qui le requièrent. Sur certains titres les parties écrites se résument à une grille d’accords, et il faudra en faire quelque chose d’exceptionnel, qui devra donc être, par nature, différent chaque soir, de même que l’étaient les concerts de Queen. La partition exige donc des musiciens une réelle performance; on est très loin du monde de la variété ou du Broadway traditionnel. Et le public ne s’y trompe pas: dans le même temps que se déroule la comédie musicale ils assistent à un véritable concert. Sans cette alchimie, WWRY ne peut avoir pleinement lieu.

Comment se monte, musicalement parlant, un spectacle comme celui-ci, avec des chansons qui existent déjà et des versions attendues. Est-ce que tu as tout de même une certaine liberté musicale ?


Trois questions en une, trois réponses:
Le montage : l’équipe créative, Ned Gujic, Raffaële Lucania, et moi-même, épaulés très efficacement par Christopher Lopez, sommes très proches dans le travail et dans notre approche de la phase de montage. Je ne compte plus les spectacles que nous avons montés ensemble, Ned et moi. Nous sommes donc dans une relation de totale confiance mutuelle, ce qui nous permet une efficacité de travail assez unique. Lors du pré-montage, chacun estime (presque à la minute près) ses besoins en termes de temps de répétition et d’artistes. Pour monter telle chanson je demande 1h45 avec tels et tels artistes, etc. Christopher Lopez a la lourde tâche de compulser nos demandes bien en amont, et de les organiser pour délivrer au final au cast (comme à nous-mêmes) un planning de répétition où toutes les demandes des créatifs puissent ‘rentrer’. Connaissant notre outil, nous savons que ce temps nous permettra d’accomplir nos missions, et d’amener le projet à bon port, sans jamais stresser faute de temps.

Des versions attendue: Ici, nous sommes aux antipodes des spectacles de sosies mille fois vus et usés. Très vite, le spectateur entre dans l’histoire et comprend que Freddie Mercury et son équipe ne seront pas imités ou clonés. Les chansons sont utilisées avec finesse pour ce qu’elles racontent et servent une histoire basée sur les personnages tirés de l’imagination de Freddie Mercury et de Queen: Scaramouche, Galileo, sont des personnages cités dans la chanson Bohemian Rhapsody. Comme dans toute comédie musicale digne de ce nom, ici l’artiste vient avec sa propre voix, et la met au service de son jeu théâtral, pour le personnage qu’il incarne. Et comme sur WWRY il n’y a pas de personnage de Freddie Mercury, nous ne pouvons avoir cette problématique de ‘versions attendues’, même si certains spectateurs, rare heureusement, mais immanquablement, peuvent avoir eu cette attente.

Une liberté musicale, oui tout à fait: comme pour tous les spectacles sur lesquels j’ai eu le privilège de m’investir, celle de mettre toutes mes ressources au service d’une seule recherche: le rendre exceptionnel.

Quelle est selon toi la force du spectacle ?

We Will Rock You a cette ambivalence extraordinaire d’être autant une comédie musicale, dans le sens théâtral, vocal, et chorégraphique du terme, qu’un concert de rock de très haut niveau, servi par des artistes, chanteurs, musiciens, danseurs, équipe créative, techniciens, équipe de production, hors normes et exceptionnels.

We Will Rock You

Du 20 décembre 2019 au 5 janvier 2020
Le Casino de Paris

BILLETTERIE : CASINO DE PARIS